Textes choisis parmi les écrits et les enseignements du Père Theodossios Marie de la Croix
Le langage des signes
Le temps passe, l'Eternité demeure; voilà le prisme permanent à travers lequel doivent être vues et filtrées les choses, toutes les choses, toutes les pensées, tous les sentiments, tous les souvenirs, toutes les générosités et toutes les misères, tous les moments de splendeur d'enfance et tous les recroquevillements de l'âme frappée. Ce qui demeure c'est l'Eternité; éternel est seul l'Amour.
Des paysages solitaires, des prairies et des jardins d'une tendresse infinie, des mers bleues sous le ciel bleu d'été, des fleurs délicates offertes pieusement par des âmes délicates, des montagnes très hautes et des rivières pacifiques, des fenêtres ouvertes sur des étendues vertes, des parfums de thym et d'encens et de cire pure, des croix blanches plantées sur des collines désertiques, des bruits lointains du soir dans les campagnes plates et fertiles, des voix amies teintées de fidélité éternelle qui traversent l'heure parfumée du crépuscule, des infirmités et des plaies béantes offertes avec douceur et sans révolte, offertes pour la liberté et la joie des âmes inconnues; des présences qui peuplent toutes les solitudes et des solitudes d'amour infini qui transcendent toute présence, des fautes d'origine sainte, des réussites sans mérite qui emplissent l'âme de tristesse secrète aux heures de louange et d'ovation, des frissons de solitude et de vide cosmiques devant l'image de l'univers infini, mobile et sans amour; des frissons et des larmes chaudes de reconnaissance devant la petite vibration discrète de l'amour infini du Créateur, des murmures de douce sagesse au sein des amitiés établies par Dieu dans l'éternité, emplissent mon âme en pensant à chacun de vous tandis que nous cheminons péniblement vers le mystère des fêtes de douleur et de résurrection.
Désormais pour des millions d'hommes la nostalgie de la beauté et de l'amour éternel ne fait pas partie du "réel". Tout un langage langage humain, sensible, toutes les significations nuancées et délicates du vocabulaire s'effacent dans la conscience et la sensibilité de millions et de millions d'hommes. Pourtant le but de la création et le moyen de l'atteindre comme individus, comme peuples et comme races, restent immuables. Ainsi toute âme fidèle et aimante est portée, au milieu de toute tribulation, à percevoir et vivre, autant qu'il est permis et possible, derrière chaque chose son signe, son langage intime de créature créée innocente avant toute altération, afin d'entendre derrière toute chose l'amour éternel de Dieu et de sa création en Lui.
Dans les feuilles des arbres transparentes et dorées de soleil, on lit le message du Verbe: I'espérance. On lit un appel, un rêve et une promesse. Toute la création contient le signe infiniment variable et absolument unique de la finalité de la création. Au fond de l'horizon luit l'horizon intérieur. Et sur l'horizon intérieur luit le visage de l'Amour éternel, le visage humain et divin: visage du multiple infini et de l'un infini, car c'est le visage du Créateur, du Fils unique du Créateur et de l'Esprit trois fois Saint du Créateur.
Les plus petites fleurs des champs, le fond des yeux amis, les planètes et les galaxies, les lueurs de la lampe à huile devant l'icône, les tombes des petits enfants et les cimetières des siècles, toutes les eaux pures et les parfums suaves des champs et des forêts, le vent salé de l'océan contiennent un chant secret, un chant doux, discret et infini, le chant du Seigneur.
Les fleurs et les arbres et les pierres précieuses, de même que les humbles cailloux, les eaux, les étendues et les montagnes, toute chose est une belle lettre et un mot du langage caché de la vie éternelle. C'est pourquoi les Saintes Ecritures et tous les écrits sacrés des serviteurs de Dieu sont pleins de comparaisons et de références à la nature. Les fleurs expriment des épanouissements spirituels, qui montent du fond de !a création initiale de la terre première. Les pierres précieuses expriment la fixité des vertus conquises, et chaque élément contient des qualités immuables, en même temps que des éléments corrosifs. Et voilà que saint Paul écrit: "Depuis la création du monde en effet Ses attributs invisibles deviennent, par ses oeuvres, visibles à l'intelligence, sa puissance comme sa divinité" (Rom. 1, 20). L'âme de bonne volonté, lorsqu'elle est entrée définitivement dans la voie de l'humilité foncière, commence à être reconnaissante pour la moindre roue que l'homme peut fabriquer, pour le moindre médicament. pour l'eau des rivières et de la pluie, pour la laine des vêtements, pour la loi du son qui permet l'instrument de musique, pour le métal qui permet l'instrument du médecin et l'aiguille aimantée; et elle est reconnaissante pour les lois qu'elle connaît du monde naturel, pour la perception de l'infiniment petit et de l'infiniment grand, dans ses rapports avec la nature finie, pour les couleurs, pour les fleurs, pour le firmament. Elle est reconnaissante, car par l'ouverture de l'humilité foncière et de la mort, elle comprend le langage de tout l'univers visible et de toutes les lois de la nature, qui ne parlent que de cette vie d'ordre et de paix et d'amour éternel du Royaume.
Pour comprendre et pénétrer ce que veut dire "la bonté des choses", c'est-à-dire ce que les choses expriment et leur signe, les livres servent peu quand l'homme est appesanti sur son "moi", il faut qu'il soit libre, et il est libéré de son moi, quand il entre dans la gloire de l'amour, quand il s'intéresse à ses frères, quand il s'intéresse par exemple à écrire une tendre lettre à sa maman qu'il aime: alors l'homme est libre, il est allègre et souriant.
Il est absolument impossible de saisir le mystère d'un paysage, de saisir le mystère des animaux, le mystère du rapport des hommes avec les animaux, si chaque jour nous ne réajustons pas notre propre savoir à la connaissance intime vécue, si nous ne sommes pas continuement mus par le désir d'être unis à la vérité éternelle.
Les choses expriment une immense bonté, quand elles manifestent à l'homme le message de l'amour de Dieu. Et les êtres humains eux-mêmes contiennent un grand secret sacré et peuvent contenir une immense bonté, un amour qui est une participation à l'amour de Dieu.
Quand on communique avec la Création, il y a une grande nostalgie parce que derrière toute expression est consignée, est tapie partout, la grande bonté de Dieu. La mort aussi y est tapie, parce que l'homme ne peut plus communiquer seulement avec la bonté des choses, et s'il veut, s'aimant lui-même, se séparer égoistement du mal de la mort, alors il se sépare en lui-même, il quitte l'oeuvre de la Création.
C'est ce que veut le diable qui hait la Création, qui hait l'homme. La forme avec laquelle se manifeste le plus le péché et le désordre initial, c'est l'arrêt dans la pénétration du mystère de la Création, l'arrêt dans l'amour des oeuvres de Dieu. Quand la nature n'est pas dominée par l'amour éternel de l'homme, la bonté des choses se perd.
Pour être constamment avec Dieu, il faut l'aimer en plénitude, aimer ce qu'il a voulu faire: il a voulu sauver le monde, c'est-à-dire qu'il a voulu que l'homme puisse communiquer avec la bonté des choses, avec la bonté de la création, avec Lui. Ainsi, je dois être plein de disponibilité pour comprendre la bonté des choses: la bonté de la flamme d'huile, la bonté de la couleur verte d'une prairie, la bonté d'un sourire, la bonté d'un sourcil, la bonté d'une pierre, la bonté de la chaleur dans une chambre quand je rentre après le froid, la bonté mystérieuse qui émane de la foret, bonté de la terre, des feuilles, des écorces; la vibration de bonté qui émane d'un homme, de son esprit, de son coeur, de ses cheveux, de ses oreilles, de ses os.
Et comment se fait-il qu'il y ait tant de crimes? Absence d'amour. Tant de saletés? Absence d'amour. Là où il n'y a pas d'amour tout est sale, là où il y a l'amour, tout est devenu saint parce que tout amour de l'homme, même le plus ordinaire, est une participation à l'amour de Dieu, et le Christ est venu pour le sanctifier.
Tout ce qui est sans amour conduit à la mort, même si cela est fait au nom de Dieu. C'est pourquoi saint Paul a dit - et je le répèterai jusqu'à la fin de ma vie -:Je peux posséder toute la sagesse et connaître toutes les langues, je peux donner mon corps en holocauste, si je n'ai pas la charité, je suis un airain qui résonne.
Quand vous avez eu contact avec la bonté des choses. quand, c'est-à-dire, le contact avec le monde extérieur élevait votre âme et vous remplissait de joie d'amour sacré, vous étiez libres, sans problèmes; quand on devient appesanti on entre dans les ténèbres. Ne croyez pas que la bonté consiste à ne pas vouloir le mal. La bonté ce n'est pas de ne pas vouloir le mal: c'est une activité continue comme une lumière continue. Et quand l'autre, à côté, est faible et appesanti sur lui-même ou satisfait de lui-même, ou méditatif ou un peu sombre, nous, nous devons être des lumières pour liquéfier ses ténèbres.
Croyez-moi, la connaissance est une marche sans fin, c'est une marche pour connaitre Dieu. On avance, on avance... Ce qui est défini, c'est la voie, et la voie unique: aimer, vouloir le bien, avoir une patience sans fin, ne jamais désespérer, jamais.
L'homme de vérité découvre la signature du Créateur gravée dans l'intimité de toute chose, et il entre dans le chemin qui conduit en dehors de l'histoire. Il découvre que le Christ est entré dans l'histoire pour libérer l'homme de la Grande Illusion. Ainsi c'est au pied de la Croix que commence le chemin de la libération, où l'homme découvre peu à peu le langage mystique de toutes les choses visibles. Et alors arrive le jour où l'univers se tait et l'histoire se tait. L'Illusion se dissipe. La fausse image de l'univers est renversée. Et l'âme connaît et vit, parce qu'elle connaît le réel éternel, I'Ineffable.
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